La lente sortie de crise
La lente sortie de crise
Le régime issu du putsch88 est marqué durant son éphémère pouvoir par des troubles militaires et civils. Le pouvoir militaire réduit néanmoins la criminalité et la corruption en usant de méthodes parfois expéditives. Il fait procéder à la rédaction d’une nouvelle constitution par les partis politiques et la société civile et organise, en octobre 2000, l’élection présidentielle. De nombreuses candidatures à la présidence de la République dont celles de Henri Konan Bédié et de Alassane Dramane Ouattara sont éliminées par la Cour suprême. Le général Robert Guéï qui se proclame vainqueur du scrutin est chassé par des manifestations de rues. De violents affrontements opposent également durant quelques jours des militants du FPI à ceux du RDR. Ces troubles se soldent par plusieurs morts. La Cour suprême proclame les résultats et déclare vainqueur Laurent Gbagbo. Celui-ci initie un forum de réconciliation nationale puis nomme ungouvernement d'union nationale. Mais le 19 septembre 2002, des soldats rebelles tentent de prendre le contrôle des villes d’Abidjan, Bouaké et Korhogo. Ils échouent dans leur tentative en ce qui concerne Abidjan mais sont victorieux dans les deux autres villes, situées respectivement dans le centre et le nord du pays. Robert Guéï est assassiné dans des circonstances non encore élucidées. La rébellion qui se présente sous le nom MPCI crée plus tard le MJP et le MPIGO et forme avec ces dernières composantes le mouvement des Forces nouvelles (FN). Il occupe progressivement plus de la moitié nord du pays (estimée à 60% du territoire), scindant ainsi le territoire en deux zones géographiques distinctes : le sud tenu par les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI) et le nord tenu par les Forces armées des forces nouvelles (FAFN).
Les pourparlers entamés à Lomé permettent d’obtenir le 17 octobre 2002, un accord de cessez-le-feu qui ouvre la voie à des négociations sur un accord politique entre le Gouvernement et le MPCI, sous l’égide du président du Togo, Gnassingbé Eyadema. Ces négociations échouent cependant sur les mesures politiques à prendre, en dépit de réunions entre les dirigeants de la CEDEAO à Kara (Togo), puis à Abidjan et àDakar. 10 000 casques bleus de l’ONUCI89 dont 4 600 soldats français de la Licorne sont placés en interposition entre les belligérants. Dans une nouvelle initiative, la France abrite à Linas-Marcoussis du 15 au 23 janvier 2003, sous la présidence de Pierre Mazeaud, Président duConseil constitutionnel français, secondé par le juge sénégalais Kéba Mbaye, une table ronde avec les forces politiques ivoiriennes90 et obtient la signature de l’accord de Linas-Marcoussis. Cet accord prévoit la création d’un gouvernement de réconciliation nationale91 dirigé par un premier ministre nommé par le Président de la République après consultation des autres partis politiques, l’établissement d’un calendrier pour des élections nationales crédibles et transparentes, la restructuration des forces de défense et de sécurité, l’organisation du regroupement et du désarmement de tous les groupes armés, le règlement des questions relatives à l’éligibilité à la présidence du pays et à la condition des étrangers vivant en Côte d’Ivoire. Un comité de suivi de l’application de l’Accord, présidé par l’ONU, est institué.
Appliqué avec beaucoup de difficultés, l’Accord de Linas-Marcoussis est suivi par plusieurs autres, conclus en Afrique et mis en œuvre par les gouvernements successifs de Seydou Diarra, Charles Konan Banny et Guillaume Soro, nommé 1er ministre à l’issue de la signature de l’accord politique de Ouagadougou conclu entre celui-ci et Laurent Gbagbo, sous l’égide du président burkinabéBlaise Compaoré, facilitateur92,4. Dans le gouvernement Soro I composé de 33 membres, la formation militaro-politique de celui-ci (les Forces nouvelles de Côte d'Ivoire) et le Front populaire ivoirien (FPI), formation politique dont est issu le président Laurent Gbagbo, disposent chacun de huit portefeuilles (le Premier ministre y compris). Les autres portefeuilles sont répartis entre divers autres partis politiques. Ainsi, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) en détient 5, leRassemblement des républicains de Côte d’Ivoire (RDR) 5, le Mouvement des forces d'Avenir(MFA) un, le Parti ivoirien des travailleurs (PIT) un, l’Union démocratique de Côte d'Ivoire (UDCI) un et l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d'Ivoire (UDPCI) un ; deux autres ministres sont réputés proches du Président de la République et un ministre est issu de la société civile.
Concrètement, outre la gestion des affaires relevant de ses compétences traditionnelles, le gouvernement coordonne la mise en œuvre du processus de sortie de crise au moyen de programmes spécifiques. Il s’agit d’un dispositif technique comprenant notamment le Centre de commandement intégré (désarmement des combattants), le Programme national de réinsertion et de réhabilitation communautaire, le Comité national de pilotage du redéploiement de l’Administration (restauration de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire et reprise du fonctionnement des services publics), l’Office national d'identification (identification des populations et des électeurs) et la Commission électorale indépendante (organisation des élections). Si le consensus semble se dégager sur le mode de gestion du programme de sortie de crise, les origines de la crise ivoiriennedemeurent un sujet controversé.
Selon certaines thèses, la crise ivoirienne est la résultante à la fois d’un colonialisme déstructurant pour l’organisation traditionnelle, d’un imbroglio juridique créé par la Constitution ivoirienne, des pratiques antidémocratiques du parti unique, du concept de l’ivoirité ainsi que de la crise économique mondiale93. Pour d’autres, la crise consacre et exprime une profonde fracture géographique, voire ethnique et religieuse, entre le nord et le sud du pays94.